PROJECTEUR .du 17-12-2002.

Douaouda-Plage ne désemplit pas. Pratique au grand jour et alcool à flots dans les tripots construits illégalement sur le domaine public maritime. En moins de dix ans, la plus belle plage de l'Algérois est devenue le lieu de tous les dangers, un véritable enfer qui inquiète sérieusement les autorités locales.

Douaouda : sa plage, ses prostituées.

Douaouda-plage a ces jours-ci triste mine. Sur des centaines de mètres, la grève, déserte, est envahie par un incroyable enchevêtrement de branches et de troncs régurgités par les vagues. Aux abords de la route, derrière la murette qui la protège du sable, des bouteilles de bière vides et de canettes écrabouillées jonchent le sol grisâtre. En face, entre les constructions hétéroclites qui ont pris corps sur les vastes terrains plats conquis sur les dunes, plusieurs véhicules sont stationnés en désordre et à distance " respectable ".

Le calme apparent des lieux, à peine troublé par le passage nonchalant de quelques automobilistes, cache en réalité une véritable industrie du sexe. Car ici, à l'intérieur des voitures, dans les bois qui coiffent les dunes, dans les constructions arborant pompeusement des appellations paradisiaques et dans les cabanes vermoulues, s'exerce le plus vieux métier du monde. Douaouda-Plage est, par excellence, le domaine de la prostitution qui se pratique, de jour comme de nuit, au vu et au su de tout le monde. Un véritable lupanar à ciel ouvert fréquenté par des centaines de clients venant de toutes les wilayas du Centre. L'endroit a acquis au fil des ans une réputation qui a dépassé les frontières de Tipaza. Des bandes de jeunes filles ont pris possession des lieux. On les rencontre dans les coins les plus insolites.

A l'entrée de la plage, sur les trottoirs, devant les commerces de quatre saisons et à l'intérieur des établissements " touristiques " qui servent généreusement - et dans l'illégalité la plus totale - force boissons alcoolisées et différents psychotropes, " du shit à la blanche ", selon les aveux d'un habitué des lieux.

Parmi ces filles de joie, on compte de nombreuses adolescentes, des fugueuses, semble-t-il, pour la plupart originaires de villes de l'ouest du pays, qui pratiquent le métier sans état d'âme et sans aucune protection. L'essentiel est qu'elles gagnent leur journée et qu'elles satisfassent les appétits de leurs protecteurs, des maquereaux à la petite semaine, qui se montrent dangereux quand il le faut. Les agressions ne se comptent plus, des crimes sont survenus à l'intérieur même des bouges qui servent à la fois de bars, de gargotes et de chambres de passe. En l'espace de dix ans, Douaouda-Plage a ravi la palme à tous les lieux de débauche existant sur le territoire national. C'est le domaine de " l'immoral ", mais aussi de la misère qui jette des centaines de jeunes filles dans les bras de souteneurs et d'entremetteuses, connus de tous les services de police. Avec la complicité de l'administration et le silence des autorités, des truands notoires, convertis en " investisseurs touristiques ", ont accaparé de vastes parcelles de terrain sur lesquelles ont été érigé, sans aucun document légal, de somptueuses bâtisses, des night-clubs, qui fonctionnent été comme hiver, drainant les marginaux en quête de coups fourrés et les nouveaux fortunés qui dépensent sans compter. Le domaine public maritime est squatté sur plusieurs centaines de mètres, des hôtels, à l'apparence honnête, y ont été construits. Ils font dans la restauration, le spectacle et la passe. Le poste de la Protection civile a été détourné par un particulier, " quelqu'un qui a des appuis ", qui en a fait un commerce. Le centre de l'Office national de développement de la pisciculture et de l'aquaculture (ONDPA), dont les installations longent le Mazafran, a subi de graves préjudices.

La bâtisse centrale de l'établissement, louée dans les années 1980 à un restaurateur pour accueillir les nombreuses familles fréquentant ce coin de détente, est vite transformée en bar douteux, puis concédée irrégulièrement à " Nadia ", " la femme au 4x4 ", la plus connue de toutes les tenancières de tripots de l'Algérois qui l'a transformé en " night-club ", " l'Aquarium ", le plus réputé de toute la côte ouest. Elle en est actuellement propriétaire, " avec un acte notarié ", révèle un élu, " car ses complicités vont au-delà de la wilaya de Tipaza ". Le directeur du centre a refusé de nous entretenir " sans autorisation " de l'ONCV, l'entreprise dont il dépend. N'empêche, l'on saura par quelques employés que l'ONCV compte bien reprendre son bien malgré les appuis dont se targue l'actuelle propriétaire. Ce n'est pas tout : les jolies paillotes, construites par l'ex-Emifor dans les années 1980 ont changé d'aspect.

Les tenanciers qui les gèrent en sous-location, encouragés par le laxisme des autorités, y ont apporté des modifications pour les transformer en véritables bars-restaurants-discothèques en ajoutant des chambres " pour les employées " et des salles " pour les spectacles ". Le tout, bien entendu, s'est effectué sans document officiel.

Echrab wala chirate

Lundi dernier, les autorités ont enfin réagi. Sur décision de la wilaya de Tipaza, des engins de l'APC de Douaouda ont été acheminés vers la plage à grands renforts de gendarmes. Des murs d'enceinte et des garages construits sans autorisation ont été démolis, les salles et les chambres annexées aux paillotes rasées. Six établissements ont été fermés, dont les fameux hôtels et dancings, dans l'attente d'une décision définitive sur le sort qui leur sera réservé. Au niveau de Douaouda-ville, l'initiative est bien accueillie par la population locale. Plusieurs habitants disent qu'ils recommencent à respirer et espèrent que l'opération se poursuivra pour éradiquer " le mal à sa racine ". L'allusion n'échappe pas à un élu qui rassure que la nouvelle Assemblée est décidée à nettoyer la plage Colonel-Abbès et à récupérer l'ensemble des biens squattés. Il ajoute que cette opération fait partie du programme des élus du FLN (majoritaire à l'APC), dont les grandes lignes ont été expliquées à la population lors de la campagne électorale. Le même élu répète que cette première action s'est faite grâce à la compréhension de Mme le wali de Tipaza et avec la collaboration exemplaire de la Gendarmerie nationale. Il révèle, " sous toute réserve ", que la plage a été classée comme zone d'expansion touristique et, ce faisant, " toutes les constructions illicites seront rasées, y compris les hôtels, quoi que puissent entreprendre leurs propriétaires ". Les élus de Douaouda en sont-ils capables ? Le maire, jeune élu FLN originaire de la ville, n'a pas été prolixe. Il indique simplement que " ce qui se passe à Douaouda-Plage nous préoccupe jour et nuit, et tant que nous n'aurons pas résolu ce problème, nous ne pouvons prétendre représenter la population de notre commune ".

Le maire a bien raison de s'inquiéter, le lieu est, à bien des égards, attirant pour les jeunes du village et répugnant pour les familles qui l'ont déserté depuis des lustres. " Nous avons peur pour nous et pour nos enfants ", conclut-il. Mais l'habitude est une seconde nature. Malgré la décision de fermeture et les contrôles inopinés, les tenanciers n'ont pas baissé les bras. Six jours après le passage des engins, plusieurs commerces ont rouvert, rideaux à moitié baissés. La technique est bien rôdée. Par petits groupes, des jeunes filles, postées en face des tripots, interpellent les clients potentiels pour leur proposer " Echrab wala chirate " (de l'alcool ou des femmes), en indiquant l'entrée du " bar " pour lequel elles rabattent. En général, les gérants évitent de servir à table ; ils proposent des boissons à emporter, qui seront évidemment consommés sur la plage. D'où l'incroyable quantité de bouteilles vides qui s'y trouvent. Poussés par la curiosité, nous avons osé visiter le débit tenu par un jeune de Douaouda. La trentaine, bien baraqué, il est installé ici depuis près de dix ans. La paillote qu'il sous-loue auprès de la locataire légale lui coûte cher. Aussi, dit-il, ne s'embarrasse-t-il pas de scrupules pour vendre illicitement de l'alcool " comme tout le monde ". En dépit de l'interdiction qui le frappe, il affirme qu'il est tenté de reprendre le travail pour nourrir ses nombreux frères et surs. Et pour ne pas abandonner ses employés qui n'ont plus où se loger après la démolition des deux chambres qui leur servaient de gîte. Non pas par défi, mais parce qu'il estime qu'on ne lui a proposé aucune solution de rechange, juste quelques vagues promesses du chef de la daïra de Fouka qui aurait suggéré qu'une solution est en cours d'étude. Les quelques employés qui sont restés sur les lieux, parce qu'ils n'ont plus " où aller ", sont furieux.

Les femmes surtout qui crient leur colère, en se disant être, " comme toujours ", les victimes. L'une d'elles, une jeune Oranaise, chaîne en or massif et jeans moulants, crie sa colère : " Où va-t-on travailler maintenant ? On veut nous pousser à agresser les gens. Mais pourquoi nous et pas les autres ? " Même son de cloche auprès d'un employé, originaire de M'sila : " Nous n'avons rien à nous reprocher, nous ne faisons que gagner notre vie. Où est le mal ? " Le mal est profond. Les longues années de permissivité ont perverti les consciences.

L'illégal devient licite, " normal ", comme diraient nos jeunes. Des centaines de jeunes filles, à peine sorties de la puberté, sont tombées dans les mailles du proxénétisme. Dans l'indifférence et, qui plus est, avec la bénédiction des services censés lutter contre les fléaux sociaux. Les élus de Douaouda récoltent aujourd'hui les fruits du laxisme de leurs prédécesseurs. Et des responsables qui se sont succédé à la tête de la wilaya, que d'aucuns accusent d'avoir facilité la floraison des commerces sur un site supposé incessible, inaliénable et imprescriptible, parce que dépendant du domaine maritime. Seront-ils pour autant inquiétés ? Là est la question. Dans toute sa simplicité. Ali Laïb

Extrait de .www.lematin-dz.net/